L'Acrostiche #1 - Alternance et métiers d'avenir : le combo prisé des groupes privés d'enseignement supérieur
Zoom sur l'acquisition de l'Ecole Sup'Paris et de DataScientest par le groupe Omnes Education
Vous êtes déjà plus d’une centaine à avoir rejoint l’Antisèche avant même le premier numéro : merci ! Afin de patienter encore un peu avant la publication de la première Antisèche, ce numéro format “Acrostiche” vous est envoyé par mail - une fois n’est pas coutume. Pour ne pas manquer la première Antisèche :
Le temps est bon, pour les fondateurs d’écoles et organismes de formation dans l’enseignement supérieur (“ESR”). Alors même que depuis le début de l’année 2022 les valorisations dévissent dans la Tech (et notamment dans la EdTech), les écoles privées et autres bootcamps (formations intensives thématiques) font preuve d’une certaine résilience… et attirent toujours plus les fonds et groupes privés d’enseignement supérieur.
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Dernier exemple en date : le groupe Omnes Education annonçait il y a quelques jours le rachat de l’organisme de formation en ligne DataScientest (spécialisé dans les bootcamps autour des métiers de la Data), quelques semaines à peine après avoir mis la main sur l’Ecole Sup’Paris (“ESP”), une école de commerce en alternance.
Bien au delà d’une simple politique de croissance externe communément pratiquée par ce type de groupes privés, ces deux acquisitions reflètent deux tendances clés du marché que je partageais récemment sur EdTech Capital dans une analyse des enjeux des nouvelles écoles alternatives :
Une demande croissante des apprenants et des entreprises sur des thématiques d’avenir (Data, Cybersécurité, etc.), et une croissance soutenue des programmes en alternance.
Le groupe Omnes : carte d’identité d’un géant de l’enseignement supérieur privé
Omnes Education en 1 minute
Omnes Education est un groupe d’enseignement supérieur privé français désormais constitué de 15 écoles sur plusieurs secteurs : Commerce & Management, Ingénierie, Communication, Création et Sciences politiques.
En nombre d’écoles comme en nombre d’étudiants, Omnes occupe une place de choix dans le paysage des groupes privés d’ESR en France, paysage dominé par Galileo Global Education (récemment sous le feu des projecteurs suite à une enquête de Libération). Les groupes Ionis, Eduservices, Eductive, Eureka Education ou encore Novétude Santé figurent parmi les plus importants en nombre d’écoles… parmi plus d’une cinquantaine de groupes privés d’ESR que compte la France.
Un modèle plus que séduisant pour les fonds
Qui se cache derrière Omnes Education ? Anciennement INSEEC U. (lui-même anciennement Groupe INSEEC), Omnes tombait en 2013 entre les mains d’Apax Partners, racheté à Career Education pour environ 200 millions d’euros. Quelques années plus tard en 2019, Apax revendait Omnes au fonds Cinven pour près de 800 millions d’euros (et un multiple d’EBITDA entre 13 et 14). Un impressionnant multiple… Pourtant non extravagant au regard des grandes transactions dans l’enseignement supérieur privé ces dernières années (AD Education, EDH, Ipesup, Talis Business School, etc.).
Outre leur résistance structurelle aux crises économiques et sociales, les écoles privées dans l’enseignement supérieur présentent de formidables atouts économiques pour les fonds, parmi lesquels :
Un vivier croissant d’étudiants dans l’enseignement supérieur (près de 3 millions en 2022-2023 selon les chiffres du gouvernement), et une conjoncture favorable au développement du secteur privé dans l’ESR.
Les étudiants-clients paient leurs frais de scolarité en début d’année (fortes capacités de financement pour les écoles et optimisation de la trésorerie), sur une période moyenne de 2, 3 voire 5 ans.
Développement croissant de l’apprentissage : financement de la scolarité par les OPCO (Opérateurs de Compétences) et les entreprises.
Par ailleurs les fonds bénéficient des mannes immobilières développées par les groupes d’écoles, friands d’ouvertures de nouveaux campus afin d’accueillir toujours plus d’étudiants.
Omnes est loin d’être le seul groupe d’écoles privées possédé par des fonds et autres investisseurs professionnels. Pour ne citer que le plus important, Galileo (chiffre d’affaires avoisinant le milliard d’euros) compte à son capital la famille Bettencourt Meyers via le family office Téthys Invest, le fonds de pension canadien CPPIB (qui perdait récemment plus de 250 millions d’euros dans la revente de plus de 7 millions d’actions Orpéa), la BPI ou encore Montagu.
Situation comparative du groupe Omnes
Quels sont les frais de scolarité appliqués par Omnes, au cœur de la performance financière du groupe ? Où Omnes se situe-t-il par rapport aux autres groupes ?
Sur un benchmark représentatif des groupes d’enseignement supérieur privés en France réalisé en interne, les prix des écoles du groupe Omnes se situent parmi les 25% les plus élevés sur les formations de type Bac+1 à 3 et Bac+4 et 5 :
Frais de scolarité moyens d’une formation Bac+1 à 3 dans les écoles françaises d’Omnes : ~9 600€ (~ 10 000€ en ajoutant les écoles internationales) - médiane du benchmark à 8 050€
Frais de scolarité moyens d’une formation Bac+4 à 5 dans les écoles françaises d’Omnes : ~12 150€ (~12 500 en ajoutant les écoles internationales - médiane du benchmark à 9 170€)
À titre de comparaison, Galileo enregistre respectivement des frais de scolarité moyens d’environ 8 700€ et 10 300€. Cette différence peut par exemple s’expliquer par une concentration plus importante de Grandes Ecoles dans le groupe Omnes, et moins de formations courtes.
Ces données - bien que fortement variables selon le secteur, l’école et le programme - croisées avec le nombre d’étudiants permettent d’obtenir un ordre de grandeur du chiffre d’affaires d’un groupe privé comme Omnes.
Deux rachats symboliques des tendances du marché : le combo métiers d’avenir + alternance
Les deux derniers rachats du groupe Omnes s’inscrivent dans une stratégie claire de développement de formations spécialisées sur des verticales Tech et de renforcement de l’alternance.
DataScientest permet de faire jouer les synergies avec l’ECE (école d’ingénieurs généraliste) - jusqu’alors unique composante Tech du groupe, notamment sur le développement de programmes en ligne favorisant l’hybridation des compétences. Ce rachat s’inscrit clairement dans la deuxième piste de développement imaginée il y a quelques mois sur EdTech Capital pour les nouvelles écoles alternatives :
La piste ‘aquarium’ : développement de formations ultraspécialisées par les nouveaux acteurs de l’enseignement supérieur (ici DataScientest) sur des verticales peu exploitées par les acteurs historiques de l’ESR, permettant une exploitation des synergies à travers des partenariats, voire des rachats.
La concurrence est rude dans ce ‘virage Tech’ : en témoigne la stratégie similaire également adoptée par Galileo avec l’ouverture récente de la Paris School of Technology and Business.
L’ESP quant à elle illustre une volonté du groupe de développer davantage son offre de programmes en alternance. Le groupe Omnes ne compte en effet pas parmi les groupes privés d’enseignement supérieur français les plus friands d’alternance :
Plus de 70% des écoles d’Eureka Education et d’Eductive Group proposent des programmes accessibles uniquement (ou en grande majorité) en alternance par exemple.
“Le réel, c’est quand on se cogne”
Malgré un tableau optimiste, les modèles de bootcamps sur des formations de haut niveau tout comme la pérennité d’une hypercroissance de l’alternance sont de plus en plus questionnés.
Nombre de bootcamps (autour des métiers de la Data ou du Développement Web par exemple) mettent en avant leurs taux d’employabilité records en sortie de formation. Or, employabilité à la sortie de signifie pas nécessairement employabilité sur le long terme.
Que penser de certaines formations affirmant former des Data Scientists opérationnels après seulement 400 heures de cours en moyenne ? Si le format peut assurément fournir de bonnes bases pour appréhender dans son ensemble le métier, et/ou offrir de belles opportunités de spécialisation à des individus au parcours déjà scientifique, la réalité une fois en entreprise pourrait rapidement rattraper des apprenants plus novices formés ‘un petit peu sur tout’ sans avoir développé de bases réellement solides permettant une autonomie de travail sur les différentes disciplines.
Est-il possible de saisir en profondeur les concepts mathématiques sous-jacents aux modèles de classification et de régression présentés ci-dessus en seulement 45 heures ? Le débat est ouvert !
Quant à l’alternance, l’hypercroissance du modèle suscite l’attention des médias et du gouvernement. Certaines pratiques potentielles dénoncées (gonflement des prix notamment) s’inscrivent dans un contexte bien plus large de manque de régulation dans l’enseignement supérieur privé.
Récemment, après les résultats d’une enquête de la DGCCRF publiés en décembre 2022, le MESRI avait annoncé le lancement d’un groupe de travail sur l’ESR privé.
Ces sujets brûlants à suivre de près feront l’objet de prochains numéros sur l’Antisèche.
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Omnes Education rachète l’Ecole Sup’Paris (école de commerce en alternance) et DataScientest (bootcamps en ligne autour des métiers de la Data). Le groupe compte désormais 15 écoles, plus de 40 000 étudiants pour environ 16 000 alternants.
Multiple entre 13 et 14 : le multiple d’EBITDA du groupe Omnes lors de son rachat par Cinven à Apax Partners en 2019 pour près de 800 millions d’euros. Les groupes privés d’écoles accumulent les atouts financiers : contrats long terme avec les étudiants toujours plus nombreux dans le secteur privé, frais payés en début d’année, ou encore manne financière immobilière (campus).
Niché dans les 25% des groupes privés français d’enseignement supérieur aux formations les plus chères (sur les programmes Bac+1 à 3 et Bac+4 et 5), Omnes compte 3 écoles membres de la Conférence des Grandes Ecoles.
Etablir des synergies entre les différentes écoles du groupe et grâce à la croissance externe (rachats) figure au cœur de la stratégie d’Omnes : sur la verticale Tech comme sur le développement de l’alternance.
Sans aucune régulation ou presque, l’enseignement supérieur privé attire de plus en plus l’attention, notamment sur les pratiques commerciales abusives. Les bootcamps questionnent également sur leur capacité à rendre opérationnels en entreprise leurs apprenants sur le long terme.
Papier intéressant. Un point de vigilance, les modèles stratégiques et financiers de GGE, Collège de Paris, Ionis ne sont pas les mêmes.