L'Apostrophe #5 - Donne moi ton classement, je te dirai qui tu es...
Les classements dans l'enseignement supérieur en France : analyse d'un paradoxe qui a de beaux jours devant lui.
Bienvenue aux nouveaux abonnés depuis la publication en septembre dernier du modèle Score AST, dédié à l’identification des territoires prioritaires en France. Dans ce premier numéro au format ‘Apostrophe’ l’analyse de données est mise un temps de côté pour laisser place à l’opinion, sur le thème des classements. Abonnez-vous pour ne rater aucun numéro :
39,3 millions : il ne s’agit pas d’une quelconque donnée financière ou d’une statistique sur la population française, mais bien du nombre de résultats identifiés par Google en un petit quart de seconde pour les mots-clés “classement écoles” tapés dans le moteur de recherche à l’heure à laquelle est écrite cette Apostrophe.
L’enseignement supérieur français adore les classements, bien que leur envahissante présence dans l’écosystème éducatif soit loin de constituer une spécificité française (en témoignent les célèbres classements de Shanghaï, Financial Times ou classement QS). Les lecteurs parents de lycéens ou d’étudiants en pleine orientation pourront particulièrement en témoigner.
Ce format invite au débat : n’hésitez pas à partager votre opinion en bas de page dans l’espace commentaires !
Disclaimer : les classements des établissements d’enseignement supérieur ne sont bien sûr pas un critère unique dans un choix d’établissement mais plutôt un outil d’aide à la prise de décision pour les apprenants. Par ailleurs, les analyses présentées dans ce format ‘Apostrophe’ sont personnelles : n’hésitez pas à partager votre avis dans les commentaires.
Les classements et le paradoxe d’un privilège exorbitant
Pour paraphraser et détourner l’expression de Valéry Giscard d’Estaing, les classements dans l’enseignement supérieur en France bénéficient d’un privilège exorbitant dans leur rôle de choix d’établissement pour les étudiants, y compris de manière inconsciente. À la manière du ‘roi dollar’ sur l’économie mondiale, les classements et leur hégémonie restent assez peu contestés. Chaque lecteur aura certainement en tête sans réfléchir au moins l’un des classements suivants : classement des écoles de management du Financial Times, classement des classes préparatoires aux grandes écoles, des écoles d’ingénieurs, etc.
Pourtant ces outils ultra-plébiscités par les (futurs) étudiants et leurs parents et pouvant jouer un rôle dans une sélection entre deux établissements similaires, recèlent un nombre important de biais de construction - même parmi les classements les mieux construits.
Les acteurs dans le jeu d’influence des classements
Trois acteurs principaux avec trois objectifs bien distincts et divergents entrent en jeu dans la construction d’un classement dans l’enseignement supérieur.
Remarque : les employeurs sont pour le moment considérés à part pour les besoins de l’analyse.
Les apprenants et leurs proches : consultent les classements dans leur choix d’établissement. L’impact de la consultation dans le choix final est plus ou moins fort selon les apprenants. L’enjeu est l’aide à la sélection du futur établissement d’enseignement supérieur.
L’établissement d’enseignement supérieur : participe à la création du classement en envoyant des données aux médias. L’enjeu est stratégique, pour continuer d’attirer les apprenants et se positionner face aux concurrents.
Les médias : au-delà du rôle d’information, les classements servent un objectif bien plus lucratif pour les médias : faire du clic. Derrière la course à la publication des classements se cachent des enjeux financiers et concurrentiels.
Ce jeu d’influences présente une forte asymétrie de risques : l’impact potentiel d’une évolution dans un classement est bien plus important pour les apprenants et les établissements que pour les médias qui n’assument aucun risque, sinon celui de perdre en crédibilité auprès de leur audience.
Classement des biais relatifs aux classements
C’était annoncé en introduction : nous adorons les classements. Or leurs biais de construction devraient alerter sur le bienfondé de leur utilisation et leur pouvoir d’influence. Pour illustrer ces différents biais, place au classement (non exhaustif) des biais dans la construction des classements (les scores présentés n’ont, évidemment, aucune signification et sont purement esthétiques) :
Êtes-vous d’accord avec ces différents biais ? Identifiez-vous d’autres biais dans la construction des classements dans l’enseignement supérieur ? Laissez votre avis en commentaires :
Expérience de pensée dans un monde sans classements : nous sommes en 2030…
Pour terminer cette Apostrophe avec une touche d’humour, cette section propose des pistes de prospectives dans un monde imaginaire où les classements n’existent plus.
“Nous sommes en 2030, et les pays de l’UE s’accordent pour interdire la publication de classements relatifs aux établissements d’enseignement supérieur…”
À la suite de cette annonce, voici quelques pistes imaginaires envisageables pour l’enseignement supérieur privé français (certaines de ces pistes peuvent être complémentaires, et à lire au second degré) :
Les médias spécialisés perdent une partie de leur audience annuelle. En contrepartie, ces derniers concentrent leurs efforts sur les forums, dont les prix grimpent en flèche pour les établissements exposants. Certains médias jouent sur le flou réglementaire pour publier des classifications des établissements, et non plus des classements.
Les établissements renommés dans chaque filière souffrent peu de cette mesure. Les anciens classements subsistent dans toutes les têtes, grâce à la force d’ancrage. Les Grandes Ecoles investissent mieux dans la Recherche, l’un des critères majeurs des anciens classements, ce qui dégage du capital. Ce capital épargné est investi stratégiquement sur le modèle de l’endowment des grandes universités américaines.
Pour les établissements ‘de milieu de tableau’, les conséquences sont plus rudes. De nombreux acteurs aux propositions de formation très similaires se consolident pour peser davantage sur le marché face à la concurrence.
De nouvelles écoles alternatives, spécialisées sur des secteurs d’avenir parviennent à attirer plus d’étudiants dans leurs promotions et à faire leurs preuves face aux employeurs, qui les plébiscitent davantage.
Les étudiants en classes préparatoires choisissent des prépas adaptées à leur personnalité, leurs objectifs et leurs besoins, et non plus à tout prix les mieux classées. La plupart d’entre eux vit une expérience d’autant plus épanouissante et la filière se développe à nouveau.
Ebitda Education Group séduit un temps les apprenants peu vigilants grâce aux 70% de son chiffre d’affaires investis dans les Sales & Marketing. Ses nouvelles écoles sur les NFT et l’IA Consulting sont particulièrement rentables pour son actionnaire principal TRI Capital Partners. Mais cette dynamique se heurte parfois à la sélection par les employeurs sur le marché de l’emploi.
À l’inverse certains groupes privés de plus en plus imposants surfent sur les nouvelles dynamiques, excellent, et parviennent stratégiquement à se forger une réputation : création de fondations, mise en place de groupes de travail pour une meilleure régulation du marché, publication de rapports ESG, recrutement de personnalités…
Et vous, comment imaginez-vous un marché de l’enseignement supérieur sans classements ? Partagez vos pistes dans les commentaires :
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Une édition super intéressante ! En particulier sur l'exercice de pensée pour 2023 : une logique à pérenniser pour les prochaines éditions ? Cela permet de mieux comprendre les implications...
Il faut aussi souligner, au delà de la perte d'audience des médias spécialisés, qu'un monde sans classement représente une perte de revenus pour ces entreprises. En effet, il y a un lien bien établi entre le fait que ces écoles soient cliente des médias (publicités, salons, opérations de com diverses...) et plus ou moins bien loties dans les résultats. Triste réalité du système actuel...
La réallocation des frais de scolarité permettrait aussi très sûrement d'améliorer l'expérience étudiante dans les Business School. Quand on n'investit plus en fonction des classements on peut se mettre à investir dans l'expérience étudiante (comprise au sens large : pédagogie, vie associative, accès à l'emploi...)